Lors d’un webinaire organisé par l’ECPI, le Dr Ahmadou Abdoul Dia a livré une analyse percutante et sans filtre sur l’avenir économique de l’Afrique. Son constat est clair : face à une concurrence internationale impitoyable, le modèle « produire plus » est obsolète. Produire davantage en visant uniquement le marché local conduit à une surabondance, une chute des prix, la détérioration ou le stockage prolongé des produits – une immobilisation de trésorerie insoutenable pour les paysans. Dans un contexte où les étals sont déjà saturés par les importations, continuer à produire sans stratégie d’accès aux marchés extérieurs, sans innovation logistique ni valorisation technologique, revient à condamner l’effort de production lui-même.
Imaginez un paysan sénégalais scannant un QR code sur un pot de miel acheté à Dubaï et découvrant, en temps réel, la ruche précise dont il est issu, au cœur du Mali. Cette image n’est pas de la science-fiction, c’est la nouvelle réalité que dessinent les technologies comme la blockchain pour les chaînes de valeur africaines. C’est le message fort porté par le Dr Ahmadou Abdoul Dia lors d’un récent webinaire : l’Afrique est à la croisée des chemins, et pour emprunter la bonne voie, elle doit arrêter de subir les règles du jeu pour commencer à les écrire.
Le diagnostic choc : « On ne peut plus vendre ce que les clients ne veulent plus acheter »
Le Dr Dia n’y va pas par quatre chemins : « Produire ne suffit plus. » L’ouverture des marchés, conséquence des accords de l’OMC et de la ZLECAF, a transformé le village planétaire en un champ de bataille économique. Les produits turcs, chinois ou marocains sont désormais les concurrents directs des productions locales dans les boutiques de Dakar ou de Bamako.
L’exemple de la tomate industrielle sénégalaise est éloquent. Malgré des subventions étatiques massives, elle peine à convaincre les consommateurs locaux, qui lui préfèrent souvent le triple concentré importé. La solution ? « Arrêter de se battre sur un segment saturé et se réorienter vers des niches à forte valeur ajoutée », assène l’expert. Plutôt que de produire en masse une pâte de tomate standard, pourquoi ne pas développer une sauce tomate « au goût local », bio, tracée et vendue comme un produit d’exception à la diaspora et aux amateurs de saveurs ethniques ? C’est ça, choisir le bon segment.
La boîte à outils du futur : Blockchain, IA et financement malin
Pour opérer cette mue, l’Afrique peut compter sur des atouts inédits. La révolution numérique a nivelé l’accès à l’information. « Aujourd’hui, avec une connexion internet, un jeune de Thiès est sur la même ligne de départ qu’un startupers de Silicon Valley », souligne le Dr Dia.
Les technologies sont là :
La Blockchain n’est pas qu’une cryptomonnaie. C’est un outil de traçabilité irréfutable qui garantit l’origine, la qualité éthique et écologique d’un produit, de la mangue du Sénégal au beurre de karité du Mali, rassurant ainsi le consommateur international.
L’Intelligence Artificielle permet d’anticiper la demande, d’optimiser les chaînes logistiques et de cibler les marchés porteurs.
Le Financement se réinvente aussi grâce au crowdfunding, aux « smart contracts » et à la finance diasporique, connectant directement l’épargne de la diaspora aux projets du terroir.
Le pilier humain : la jeunesse, cette « bombe » à idées
« La théorie et la pratique le démontrent : ceux qui innovent ont entre 18 et 35 ans », rappelle le Dr Dia. Et bonne nouvelle, c’est la tranche d’âge la plus importante du continent. Cette jeunesse, connectée et inventive, est une « bombe » de potentiel qu’il faut urgemment « désamorcer » en lui donnant les moyens d’agir.
Cela passe par une refonte du système éducatif. « Il est lamentable de voir des diplômés de master incapables de créer de la valeur en entreprise », déplore-t-il. La solution ? Intégrer l’entrepreneuriat et l’innovation dès le plus jeune âge et favoriser les formations pratiques, en immersion dans le monde professionnel.
La feuille de route : 3 piliers pour une compétitivité inclusive
La conclusion du Dr Dia se résume en une feuille de route simple mais exigeante, basée sur trois piliers interdépendants :
Choisir le bon segment : Arrêter de vouloir dominer toute une filière. Identifier une niche où l’on peut être le meilleur et s’y concentrer.
Connaître son marché : Ne plus produire à l’aveugle. Comprendre les désirs du client, qu’il soit à Dakar, Houston ou Séoul, et y répondre.
Innover avec sens : Utiliser la technologie non pas pour elle-même, mais au service de l’humain et de la planète, en intégrant la durabilité et l’inclusion au cœur des business models.
Une course de témoins à gagner
« La compétitivité n’est pas une guerre contre les autres, c’est une course vers le meilleur de nous-mêmes », a conclu le Dr Dia avec une métaphore forte. L’avenir de l’Afrique ne se fera pas en reproduisant les modèles du passé, mais en passant le témoin à une nouvelle génération d’entrepreneurs agiles, innovants et responsables. Le financement durable et l’innovation ne sont plus des options, mais les seuls carburants possibles pour cette course vers une compétitivité enfin inclusive.



