Face à la montée des menaces numériques et à la dépendance technologique croissante, la question de la cyber-souveraineté africaine s’impose comme un enjeu stratégique. C’est le constat dressé par notre intervenant Aboubacar Yacouba Mai Birni, expert en cybersécurité et responsable CSIRT & Capacity Building à l’Africa Cybersecurity Resource Centre (ACRC), lors du webinaire organisé le 4 octobre 2025 par l’École Centrale Polytechnique d’Ingénieurs (ECPI).
Une Afrique devenue terrain d’expérimentation pour les cybercriminels
Selon M. Aboubacar Birni, l’Afrique est aujourd’hui une cible privilégiée, non par hasard, mais en raison d’un environnement favorable aux attaques. « Le continent est devenu un véritable laboratoire pour les cybercriminels », a-t-il alerté, évoquant les failles réglementaires, l’absence de coordination entre États et la faible maturité des dispositifs de défense.
Les cyberattaques se multiplient contre les institutions publiques, les télécoms et les banques, avec des pertes estimées entre 4 et 10 milliards de dollars par an.
Interpol a récemment signalé plus de 1 000 arrestations et 193 millions de dollars de pertes financières en Afrique lors d’opérations conjointes. Un chiffre révélateur de l’ampleur du phénomène.
Le coût caché de la dépendance numérique
Notre intervenant a rappelé que la dépendance technologique du continent représente une menace silencieuse.
Revenant sur l’affaire de l’Union africaine en 2018, il a souligné que « pendant six ans, les données issues du siège de l’UA étaient transférées chaque nuit vers Shanghai, à l’insu des autorités africaines ».
Ce cas illustre selon lui les limites d’une digitalisation non maîtrisée : « Peut-on vraiment parler de souveraineté si nos infrastructures et nos outils dépendent d’acteurs étrangers ? »
De la cyber-protection à la cyber-résilience
Pour M. Birni, la prévention seule ne suffit plus. Les chiffres sont alarmants : un attaquant reste en moyenne 191 jours dans un système avant d’être détecté, et 67 % des attaques sont découvertes par des tiers. Cette situation révèle une faiblesse structurelle : trop d’organisations se concentrent sur la protection technique et négligent la détection, la réponse aux incidents et la continuité d’activité.
« La question n’est plus de savoir si nous serons attaqués, mais quand »,
a rappelé M. Yacouba. « La résilience doit devenir une priorité au même titre que la protection. »
Coopérer pour exister face à la menace
Aboubacar YACOUBA a insisté sur la nécessité d’une coopération intersectorielle et régionale. Il a évoqué l’expérience des ISAC (Information Sharing and Analysis Centers), structures de partage d’informations entre acteurs d’un même secteur, encore trop rares en Afrique. « En Afrique, chacun combat seul alors que les cybercriminels, eux, partagent tout. Le rapport de force est déséquilibré. » Créer une culture du partage et de la solidarité numérique devient donc un levier essentiel pour renforcer la cyber-résilience collective.
Investir dans les compétences locales et le cadre juridique
L’Afrique souffre encore d’un manque de profils qualifiés et d’un cadre juridique inadapté : seuls 15 % des pays africains ont ratifié la Convention de Malabo sur la cybersécurité. Parallèlement, la fuite des talents vers l’international aggrave le déficit de compétences. « Tant que nos meilleurs experts seront formés ici pour servir ailleurs, nous resterons dépendants », a averti M. Yacouba. Il plaide pour un investissement massif dans la formation, la certification et la recherche locale, piliers d’une souveraineté numérique réelle.
La souveraineté numérique comme horizon
Au-delà des chiffres, le message est clair : la cybersécurité africaine ne pourra progresser qu’en intégrant la souveraineté au cœur de sa stratégie.
Cela passe par la maîtrise des infrastructures critiques, la protection des données et la création de solutions locales. Un modèle africain de maturité cyber ne se décrète pas : il se construit, pas à pas, par la confiance, la coopération et la compétence.
Ce webinaire de l’ECPI (Ecole Centrale Polytechnique d’Ingénieurs) a révélé l’urgence d’un sursaut collectif. L’Afrique ne manque ni de talents, ni d’ambitions, mais doit désormais transformer ses initiatives dispersées en une stratégie cohérente. Comme l’a résumé M. Birni : « L’Afrique digitale ne sera forte que si elle est cyber-souveraine. La cybersécurité n’est pas qu’un enjeu technique — c’est une question de survie économique et de souveraineté. »



